Monde in Yasni Exposé of Beatrix Delvaux

« Les choses ne sont pas difficiles à faire, ce qui est difficile, c’est de nous mettre en état de le faire » -Brancusi. Le monde de Franco Adami est son atelier. Il y règne une sorte d’équilibre souverain : la lumière, l’espace, les formes, les esquisses , une œuvre en processus de création…, les socles, les plâtres, au mur les affiches de ses expositions dévoilant son parcours d’artiste, l’odeur de la terre glaise, les outils ; tous ces éléments font partie d’un tout et portent en eux la force et l’amour. Ce sont les éléments essentiels de l’œuvre de l’artiste. L’homme Adami n’est heureux que si son atelier se remplit d’amis, venus des quatre coins du monde ; aussi ne peut-il œuvrer en solitude : l’effort essentiel par lequel Franco Adami tente d’arracher la forme de son esprit à la matière et l’entreprise d’imposer une forme spirituelle à la matière se traduit par une parfaite symbiose entre d’une part l’esprit et la main et d’autre part la nature et le mystère . Une fois l’acte fécondateur accompli en solitaire , entre en jeu le moment sacré d’échanges et de complicité avec ses assistants ; l’œuvre de Franco Adami est avant tout un dialogue. D’ailleurs une des ses sculptures s’intitule « dialogue ». Et dialogue il y a, entre l’artiste et son œuvre , entre l’œuvre et le spectateur. Franco Adami proclame son art avant tout un art communicatif. Si la sculpture est sa raison d’être, elle nous révèle ses perceptions sensibles, ses pulsions intimes, en d’autres termes son existence d’homme. La sculpture est devenue un langage, chargé d’émotions par lequel Franco Adami s’efforce de communiquer à autrui la valeur intense de ses attachements profondément humain. Chacune de ses sculptures naît d’ une penséé ou un procesus de la penséé qu’il traduit par une solution sculpturale. D’ailleurs Franco Adami perçoit les choses de la vie et les traduit instantanément en ‘formes’. « L’œuvre d’art est le ferment d’une émotion que l’artiste propose », disait Odilon Redon. Chez Franco c’est tout un système de pensées qui se révèlent à nous :l’homme et l’univers, l’homme et l’homme, l’homme et l’animal. Les relations vitales entre celui-ci et l’animal sont valorisées dans de nombreuses cultures. La tradition occidentale s’appuie sur la supériorité de l’homme car imposée par la Bible ; Or le penseur Grec ,Platon, concevait le monde naturel – y compris tous les animaux et toutes les plantes – animé d’une âme. Rien d’étonnant quand on sait que l’enfant Franco Adami s’ést éveillé en pleine campagne en tant que fils unique : hors du foyer familial le jeune Franco pouvait s’adonner au monde naturel et fantasmagorique que représentaient à l’époque les collines de Calci , où en fond de toile s’ouvrent au jeune garçon un univers de champs, de clairières , les oliveraies et les vignes ou les oiseaux et autres animaux deviennent ses compagnons ; il court et observe et dessine… Ce monde naturel devint l’essence de son œuvre plus tard. L’esprit est l’œil de l’âme, la force est la passion ; chaque sculpture de Franco Adami contient ces deux éléments. C’est peut-être ce sens profond qu’il a de la relation de personne à personne, de la relation avec le monde animal et du mystère qui est en chacun, de cette vérité cachée , qui fait la singularité de l’œuvre de Franco Adami ; une œuvre aussi unique que libre de toute mouvance. Qui dit univers dit aussi universel. Tous ces éléments réunis ne pouvaient qu’éblouir et fasciner l’âme africaine. Rien d’étonnant que ces œuvres monumentales ont été accueillies d’abord en Afrique , ensuite en Asie, avant d’être inaugurées en Europe. La vie de l’artiste est aussi sobre , que ses œuvres : totalement concentré sur l’essentiel. La perfection des formes pures, la plénitude des surfaces lisses, le dépouillement du symbolisme ne laissent aucune échappée au regard. L’homme et l’œuvre se font avec la même autorité : œil et reflet, main et esprit. La sureté de l’intelligence et le coup d’œil finit par donner à la main une aisance comparable à celle d’un chirurgien. La forme finale est tout entière exprimée. L’œuvre de Franco Adami se meut entre le concret et le géométrique, Les courbes,verticales et horizontales expriment l’esprit ou l’essence de l’idée. L’esthétique symétrique de ses sculptures ainsi que la frontalité d’une rigueur formelle à la fois figuratif et à la fois empreinte d’une idéographie , donnent aux éléments réalistes une éternité et une présence magique. Il est frappant aussi de constater à quel point la question du socle préocupe l’artiste : il s’agit là d’une combinaison significative d’une forme portante plus qu’un simple support, qui mette en valeur l’œuvre et le matériau. Quand le jeune sculpteur Franco Adami s’installa à Paris, cette ville était le véritable carrefour de sculpteurs qui s’y trouvaient simultanément ou successivement : Brancusi, Zadkine, Epstein, Maillol, Bourdelle, Lipchitz… Tous se sont côtoyés car s’interrogeant sur les mêmes questions essentielles. Comment traduire l’idée impalpable et l’imaginé par un message qui doit devenir un sujet plastique scénique ? Le jeune Franco Adami subit comme d’autres les influences des idées émergentes de son époque. Le destin de l’art est remis en question, y inclus les matériaux et les techniques. Depuis que les Etats-Unis prennent une place dans la vie artistique, les écoles se multiplient et d’une manière générale l’abstraction l’emporte. La sculpture y échappe en partie. Seuls les artistes doués s’affirment. Franco Adami a eu cette démarche en solitaire : rendre le sensible intelligible et universel, partant d’une primitivité radicale, poussé par une nécessité libre mais appliquant une rigueur classique , son œuvre retrouve l’éternité .L’esprit comme la matière conditionnent la création et le désir de clarté et de pureté. Si la vie de Franco Adami n’a pas toujours été facile, bien au contraire, dès les années 70, il voit enfin s’ouvrir devant lui la voie de la reconnaissance publique et de la notoriété. Grâce à un travail acharné et des recherches sans relâche sur les formes et la perfection du geste, il aboutit à son véritable style propre qu’il n’abandonnera plus. En même temps Franco Adami devait répondre à un défi, promesse faite à son père : il deviendra un grand sculpteur ! Tant d’exigence jointe à tant de passion et de sensibilité vient d’abord de l’appel dans lequel l’artiste s’est engagé , impérieusement. Je suis restée figée devant un des dessins de Franco Adami datée de 1978 s’intitulant : « l’appel ». Dessin mystérieux quant à sa signification réelle, mais il s’agit d’une abstraction d’un élan ou de l’attraction d’une force de l’irrésistible et de la soif de l’absolue, dont le cœur ou le moteur réside dans la présentation d’un œil puissant – toujours cet œil qui revient dans presque toutes les œuvres de l’artiste. L’œil aux aguets, l’attente, l’anxiété, l’espoir, nourissant un rêve , cet œil crée l’image , évoque le pouvoir magique de l’œuvre. Chez le peintre surréaliste Magritte cet œil est le « Faux Miroir » ou un cristallin troublé de fantasmes. Chez Franco Adami sa signification pourrait être utilisé dans un sens de compréhension de l’esprit et de la technique. De même qu’il sonde l’âme de tout être, Franco Adami a la puissance et le pouvoir de pénétrer l’intimité du matériau . Quand on contemple l’œuvre de Franco Adami en sa totalité on se retrouve devant des poèmes visibles dont la puissance d’évocation semble inépuisable : présences matérielles qui vivent par l’éclat du bronze et du marbre. BEATRIX DELVAUX